Jean-François Lapointe, directeur général et artistique de l’Opéra de Québec est, on le sait, très attaché au répertoire lyrique chanté en français. En ouvrant la saison avec Lucie de Lammermoor, la version française du célèbre opéra de Donizetti, il a fait d’une pierre deux coups: concilier le bel canto avec l’esprit du grand opéra romantique français. Pour s’ajuster au goût français dominé par Halévy et Meyerbeer, Donizetti avait, en 1839, avait apporté quelques changements à son œuvre. Les récitatifs ont un ton plus théâtral, le célèbre air de Lucia, Regnava nel silenzio, a fait place à une cavatine provenant d’une œuvre antérieure; certains personnages ont changé de nom et Alisa, la confidente, a disparu, ce qui met l’accent sur l’isolement de l’héroïne, seule dans un milieu d’hommes contrôlants.
La mise en scène, les décors et les costumes de Lucie de Lammermoor sont ceux de la production de l’opéra de Tours. Si la distribution vocale est irréprochable, on peut s’interroger sur les choix du metteur en scène Nicola Berloffa et du scénographe Andrea Belli, qui ont occulté toute la couleur « locale » inspirée par une nouvelle de Walter Scott.
Comme on le fait souvent maintenant, l’opéra est transposé dans la société aristocratique du XIXe siècle. Cela est pertinent, le femmes de l’époque n’échappant ni au mariage d’intérêt ni à la soumission aux hommes de leur entourage. En balayant du revers de la main toute référence visuelle au livret (forêt, fontaine), Berloffa et Belli privent le spectateur de tous ses repères et d’une certaine logique. Le lever de rideau est censé représenter une chasse en forêt : aucun décor, une série de projecteurs jaunâtres éclairent faiblement la scène envahie de fumée, – une possible allusion au brouillard écossais. Les chasseurs sont sagement assis, en redingote, un livre à la main, comme s’ils lisaient le roman de Walter Scott ! Le décor dans lequel évolue Lucie est fait de trois grands panneaux blancs tenant lieu de forêt ou de château. Quant à la scène de la folie, il faut beaucoup d’imagination pour croire que, dans sa robe blanche immaculée et avec sa coiffure impeccable, Lucie vient d’assassiner son mari !
Il reste donc la musique et le drame vécu par Lucie. L’opéra bénéficie heureusement d’une excellente distribution franco-québécoise, dont on a pu apprécier la remarquable cohésion dans le sextuor de l’acte II.
Henri Ashton, le frère de Lucie, a été bien servi par le baryton Hugo Laporte, qu’il s’agisse de l’air « D’un amour qui me brave » ou des duos l’opposant à Edgard, ainsi qu’à celui, faussement compatissant, avec Lucie, qui se croit trahie par son amoureux (« L’ingrat te/me délaisse »). Pour lui donner la réplique, trois ténors aux timbres bien distincts : le Français Yoann Le Lan, dans le rôle du magouilleur Gilbert, a une voix claire qui passe facilement la rampe. Une belle découverte ! Son compatriote Julien Dran, qu’on avait apprécié en 2021 dans L’Elisir d’amore de Donizetti, s’est montré très convaincant en Edgard, tant par son lyrisme et son timbre velouté que par sa générosité vocale, livrant notamment une scène finale très intense. Emmanuel Hasler, qu’on a vu au Festival d’opéra dans Pomme d’Api d’Offenbach, a bien cerné l’inquiétude d’Arthur face à la froideur de Lucie. Enfin, soulignons la voix puissante et la belle présence scénique de la basse Tomislav Lavoie dans le rôle de Raymond, le ministre du culte chargé de célébrer le mariage de Lucie et d’Arthur.
La soprano colorature belge Jodie Devos, qui était de la distribution à Tours en février 2023, habitait pleinement le personnage de Lucie : à la fois forte et fragile, amoureuse et brisée par l’énorme mensonge tramé par son frère. Les murs blancs qui l’entourent semblent l’enfermer dans son destin tragique. Très à l’aise dans les nombreuses roulades chères à Donizetti, elle lance ses notes aiguës avec aplomb et possède une belle palette de nuances allant jusqu’à de remarquables pianissimi. Elle s’est investie pleinement dans la scène de la folie, nous montrant une Lucie émouvante, complètement déconnectée de la réalité.
Soulignons la solide prestation du chœur, en particulier de celui des hommes et l’excellence de l’orchestre symphonique de Québec, dirigé en souplesse et avec conviction par Jean-Marie Zeitouni.
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