Après avoir résisté vaillamment à la pandémie avec deux galas en mode virtuel, une mise en espace du Barbier de Séville et un Festival ingénieux malgré ses ressources limitées, l’Opéra de Québec reprend enfin pleinement possession du Grand Théâtre, avec costumes, décors et mise en scène grâce à l’Elisir d’amore de Gaetano Donizetti. Cet opéra-bouffe divertissant, présenté seulement en 1992 et en 2004 par la compagnie, tombait à pic pour marquer une sorte de résurrection après 19 mois de stress et d’incertitude.
Alain Gauthier, dont on a pu apprécier l’été dernier Les pêcheurs de perles de Bizet au Festival d’opéra (une production des Jeunesses musicales en tournée canadienne cette saison), a su mettre les chanteurs en valeur par une mise en scène rafraîchissante, pleine de légèreté, exploitant judicieusement, mais sans tomber dans le ridicule, la bouffonnerie de l’œuvre. On lui doit quelques trouvailles ingénieuses et amusantes, telles l’esquisse de danse en ligne des choristes dans les deux Finale—on en aurait voulu plus!—le tricycle transportant le précieux élixir de Dulcamara, le combat au ralenti entre Nemorino et Belcore, le notaire en perruque, recroquevillé et trottinant de long en large comme une fourmi (l’irrésistible Gabrielle Lapointe), ou le chef d’orchestre brandissant à son tour une bouteille d’élixir, comme pour en vanter les bienfaits.
Pour le plaisir des yeux, Ariane Sauvé, scénographe bien connue à Québec, avait créé un décor unique pour les deux actes: un arbre, une fontaine, une place villageoise et quelques maisons rappelaient aux nostalgiques des voyages une idyllique Italie de carte postale. Les costumes d’Emily Wahlman soulignaient bien les différences de rang social des personnages.
Cinq jeunes chanteurs en pleine ascension, trois du Québec et deux Français ont prouvé une fois de plus que l’Opéra de Québec sait créer une distribution équilibrée. On a pu s’en rendre compte dans les nombreux duos de l’œuvre, chaque protagoniste se trouvant toujours en pleine harmonie avec l’autre. Le ténor Bordelais Julien Dran (Nemorino), une des étoiles montantes de l’opéra français, a su garder l’équilibre entre la naïveté du jeune paysan et la profondeur de son sentiment amoureux. Sa voix, parfois un peu rugueuse pour du bel canto, est brillante et à l’aise dans tous les registres. Il fut particulièrement touchant et convaincant dans le quatuor avec chœur du premier acte, “Adina, credimi, te ne scongiuro,” et dans le très attendu “Una furtiva lagrima” qui lui a valu des applaudissements bien nourris.
Adina, la jeune fermière un peu blasée face à l’amour dont elle est l’objet, a trouvé en Catherine St-Arnaud une interprète de choix. Cette jeune soprano québécoise, que j’avais remarquée au Festival d’opéra de Québec en 2019 (Susanna, dans Les noces de Figaro) et en août dernier dans Les leçons de Maria Callas, a incarné avec grâce la coquette Adina qui est, on s’en rend vite compte, attirée malgré elle par Nemorino. Elle a montré tout son savoir-faire dans l’air joliment ciselé, “Prendi, per me sei libero.”
Hugo Laporte, toujours vocalement irréprochable, a fait preuve d’un grand sens comique dans le rôle de Belcore, le sergent imbu de sa personne et sûr du prestige de son uniforme auprès de la gent féminine. J’ai beaucoup aimé également le baryton-basse français Julien Véronèse, un imposant Dulcamara qui est entré dans la peau de son personnage, un charlatan aux arguments inépuisables pour vendre à qui l’écoutera un élixir miraculeux. La voix passe la rampe sans effort et se prête avec beaucoup de naturel à la bouffonnerie voulue par Donizetti. Enfin, la jeune soprano Lucie St-Martin s’est fait remarquer par son piquant et sa vivacité dans le rôle de Giannetta.
Le chœur de l’ODQ, ramené à 24 participants, a fait bonne figure, en particulier du côté féminin, lorsqu’au 2e acte, les paysannes font les yeux doux à Nemorino qui vient d’hériter de son oncle. L’Orchestre symphonique de Québec a retrouvé le chef Jean-Michel Malouf, invité à plusieurs reprises par l’Opéra de Québec. Toutefois, afin de respecter la distanciation des musiciens, on a doublé la largeur de la fosse d’orchestre qui se trouvait ainsi très en avant de la scène. Si bien qu’à plus d’une occasion, les cuivres couvraient, pour ne pas dire écrasaient, les voix.
La pandémie a laissé des cicatrices dans le monde des spectacles: alors que l’Opéra de Québec avait l’habitude de faire salle comble, le public semble encore hésiter à reprendre sa place et à se faire imposer le port du couvre-visage durant toute une représentation. Il faudra donc du temps pour un “retour à la normale.”
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